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Le déclencheur et la souris. La photographie alternative.

Déjà au 19e siècle, les artistes pionniers de la photographie ont chercher à s'approprier la matière photographique pour s'émanciper de l'industrie. Le nombre de procédés avec leurs variantes sont presque infinis, ils constituent une véritable palette d'artiste pour donner une âme aux images.

Gomme bichromatée sur vandyke. Epreuve sur papier Arches 40x50cm. Le royaume de l'ankou, Bujat Pestivien.
Gomme bichromatée sur vandyke. Epreuve sur papier Arches 40x50cm. Le royaume de l'ankou, Bujat Pestivien.

Par Jean-Baptiste Rabouan : J'aime les vieilles photos, j'arpente les brocantes et les vide-greniers à la recherche de ces petits morceaux d'immortalité. Ce n'est pas parce qu'elles appartiennent au passé ou qu'elles représentent un document que ces images m'émeuvent. Non, ce qui me touche, c'est l'empreinte d'un instant gravé dans une émulsion fragile, souvent jaunie, piquée, déchirée et pourtant éternelle dans la poésie qu'elle porte. Les mots eux-mêmes de la photographie des siècles passés semblent avoir été inventés par des poètes qui écrivaient avec des rimes en "type" : calotype, daguerreotype, ambrotype, ferrotype, aristotype (oui, vous avez bien lu), cyanotype, et j'en passe. Les experts reconnaîtront telle ou telle technique mais ce que le profane peut retenir, c'est la profusion des procédés photographique artisanaux qui ont coexisté. On imagine sans peine chaque photographe faisant sa cuisine, expérimentant une multitude de variantes, réalisant ainsi de ses mains son œuvre, au sens artisanal du terme. Lorsque je parcours ma collection de photographies anciennes, je ne peux m'empêcher de penser qu'il manque quelque chose aux images numériques qui envahissent les écrans. Bien sûr, elles sont toujours plus nettes, plus chatoyantes mais elles sont toutes plus ou moins les mêmes malgré les effets en tout genre que l'industrie du numérique s'acharne à développer en imitant souvent les procédés anciens... Pour diffuser ses produits au plus grand nombre, l'industrie de la photographie s'est attachée, dès le 19e siècle, à rendre toujours plus accessibles les opérations tant et si bien qu’aujourd’hui, le seul geste du photographe est d'appuyer sur un bouton : le déclencheur et la souris.

À l'heure du numérique, la question de la main de l'homme dans l'art de la photographie est évidemment cruciale mais elle ne date pourtant pas d'hier. Charles Baudelaire écrivait dans son Introduction au Salon de 1859 : « Comme l'industrie photographique était le refuge de tous les peintres manqués…" À la fin du 19e siècle, pour se démarquer de la « photo-mécanique » les photographes en quête d'une expression artistique comme Robert Demachy, Constant Puyo, Anne Brigman, Alfred Stieglitz Heinrich Khun... participent à grand élan de photographie pictorialiste dont la revue Camera Work marque l’apogée de 1903 à 1917. Les pictorialistes affectionnent le procédé à la gomme bichromatée découvert par Alphonse Poitevin vers 1850 par sensibilisation à la lumière de la gomme arabique avec du bichromate de potassium. La solution sensible est mélangée avec du pigment de peintre pour obtenir par couchage au pinceau, un support photographique. Pour les pictorialistes, la gomme est un médium de choix, un point de jonction entre la photographie, la gravure et la peinture. Chaque gommiste travaille selon son inspiration avec ses pigments, ses supports, ses coups de pinceaux... et créé ainsi des photographies avec l'empreinte du geste.

L'aventure de la gomme est toujours tentante pour un photographe, en théorie… car en pratique, se lancer dans la gomme c'est comme apprendre à jouer du piano : il faut travailler sans relâche avant de monter sur scène. Cela n'empêche pas que la résistance s'organise. Les pictorialistes d'hier ont légué leur héritage aux photographes alternatifs d'aujourd'hui qui mêlent les techniques du numérique aux procédés artisanaux. Je citerai, à titre d’exemple : Christina Anderson, Jean Charles Gros, Monica Englund, Mike Ware… parmi beaucoup d’autres. Certains d’entre eux sont exposés dans les musées - surtout aux USA - d’autres travaillent encore dans l’ombre mais tous s’attachent à créer des œuvres photographiques palpables dont l'âme est insufflée par la main de l’artiste. Jean-Baptiste Rabouan

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