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La gomme bichromatée : La mystérieuse insaisissable de la photographie.

Les gommes sont belles, rares et comme le seraient les rubis birmans d’un royaume disparu. Peu de chance d’en voir dans les brocantes sur les étals de photographies anciennes. Et même dans les collections des musées, elles restent exceptionnelles. Pourtant, aux yeux des connaisseurs et malgré leur rareté, la gomme bichromatée n’incarne rien de moins que l’invention de l’art de la photographie.

Gomme bichromatée 40x60cm Cromlech de Callanish dans l'île de Lewis en Ecosse. Photo : Jean-Baptiste Rabouan
Gomme bichromatée 40x60cm Cromlech de Callanish dans l'île de Lewis en Ecosse. Photo et tirage : Jean-Baptiste Rabouan

Par Jean-Baptiste Rabouan : Revenons un peu en arrière pour mieux comprendre la gomme bichromatée, cette insaisissable princesse de la photographie. Entre 1850 et 1855 l’ingénieur photographe Alphonse-Louis Poitevin met au point la technique qui consiste à sensibiliser de la gomme arabique pigmentée, avec du bichromate (pour mémoire, la gomme arabique est un liant traditionnel pour les pigments des peintres). La gomme bichromatée devient plus ou moins insoluble avec une insolation aux UV de la lumière du jour - ou artificielle. Après exposition par contact d’un négatif sur une feuille couchée de gomme bichromatée, il suffit de tremper l’épreuve dans l’eau pour que la gomme, plus ou moins soluble, retienne ou libère les pigments. Ainsi, la gomme se dépouille littéralement pour laisser apparaître l’image.

La première propriété du procédé de la gomme bichromatée - aussi appelée gomme pigmentée - est la pérennité. En effet, l’épreuve constituée de pigment et de gomme arabique a la durabilité d’une peinture, un avantage considérable à une époque où les photographies argentiques étaient très instables. Mais les images obtenues n’étaient pas satisfaisantes par manque de nuances, trop de granulations… Sans compter que le procédé nécessite une certaine virtuosité dans la manipulation des brosses et des pigments. Les photographes se détournent alors de la gomme qui tombe plus ou moins dans l’oubli.

Une quarantaine d’années plus tard, vers 1890, un groupe de photographes décide d’élever la photographie au rang d’art pictural alors que Kodak diffuse déjà son appareil grand public à film et que l’industrie photo bat son plein. Pour le groupe que l’on nommera « pictorialistes », la première condition pour que la photographie ne soit plus considérée comme de la « peinture mécanique » est d’avoir un médium avec lequel le photographe peut s’exprimer et poser l’empreinte unique de son geste. Le procédé de la gomme bichromatée, déjà pictural par nature, répond à toutes ces exigences. À travers l’Europe et bientôt les États Unis, les pictorialistes s’attellent à améliorer le procédé et développent la technique de la gomme multi-couches. En superposant des couches fines, on « sculpte » son image et l’on peut obtenir des nuances et une profondeur qu’aucun procédé argentique ne saurait égaler. Entre le travail et le choix des pigments, le dépouillement au pinceau et le jeu des couches, la gomme bichromatée devient rapidement le procédé emblématique des pionniers de l’art de la photographie. Mieux encore, en utilisant les pigments des trois primaires on peut réaliser des épreuves en couleur !

Geisha, gomma bichromatée trichrome 30x45cm. Photo et tirage : Jean-Baptiste Rabouan
Geisha, gomma bichromatée trichrome 30x45cm. Photo et tirage : Jean-Baptiste Rabouan

Si la gomme est la plus expressive et l’un des plus beaux de tous les procédés photographiques, seuls les gommistes virtuoses produisent des épreuves qui surpassent les tirages conventionnels. Il faut en moyenne quatre jours pour réaliser une gomme et le résultat n’est jamais garanti à l’avance ! La difficulté décourage plus d’un photographe et les gommistes ne sont pas légion. Peu à peu dans les années 1920, 1930, le mouvement pictorialiste et avec lui la pratique de la gomme, disparaissent. Ils ont néanmoins réussi leur mission d’élever la photographie au rang des arts et leurs œuvres inspirent encore, consciemment ou inconsciemment, des générations de photographes.

Une quarantaine d’années plus tard - serait-ce un cycle ? - un groupe de photographes américains pose la même question que posaient les pictorialistes : quelle est l’alternative possible à la photo industrielle ? Ils relancent la pratique artisanale des procédés anciens dont, pour les plus investis, la gomme bichromatée. Ils n’ont pas fondé un mouvement à proprement parler mais plutôt une certaine idée de la pratique photographique qui perdure aujourd’hui et que l’on nomme : « photographie alternative ». Une fois encore, la gomme bichromatée est affichée comme l’emblème de la photographie alternative mais, comme au temps des pictorialistes, les véritables gommistes se font rares ! JB Rabouan

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